i've fallen for your eyes but they don't know me yet. ( BERLIOZ )

Les rares flocons de neiges cristallins s'échouaient sur le sol givré de la ruelle où l'on entendait le voisinage s'affairer autour des décoration. C'était à celui qui avait la maison la plus colorée. Un sourire en coin, la canne tapant le sol avec une douceur certaine et la laisse glissée au creux de sa main gantée; Berlioz longeait les trottoirs glissants avec précaution. Les fêtes de noël approchaient, Berlioz n'avait rien à faire, il ne pouvait ni s'extasier devant la beauté d'un sapin bien éclairé, ni aider à monter ces fabuleuses décorations. Les rues étaient pour ainsi dire bruyamment vide; l'on entendait les rires provenant des maisons, mais personne n'était dehors. La dernière fois qu'il avait vu Rainbow, elle lui annonçait qu'elle passerait ses vacances en France. Berlioz se sentait bien seul, le pas lent, il marchait en direction du parc avec une assurance certaine. C'est alors que Chip s'arrêta. Remarquant sa soudaine hésitation, Berlioz se figea à son tour. Quand Chip s'arrêtait, il y avait toujours un inconnu dans les parages; quelqu'un qui n'était pas de Wexford, quelqu'un qui était seul. « Avaance Chip ... » Berlioz tira sur la laisse en gardant sa canne appuyée sur le sol glissant. Le chien ne voulant pas avancer, il devina qu'il s'agissait probablement d'une personne totalement étrangère au quartier -et assez solitaire pour rester seul, assis sur un banc dans un parc désert. Il tira de plus belle, imprudemment, laissant sa canne glisser sur le sol, il fut entraîné dans une chute fracassante qui obligea un couinement au chien. Plus de peur que de mal, le bruit avait alerté le garçon assit sur son banc givré et il était là, devant Berlioz, la respiration régulière et un regard impénétrable que Berlioz n'avait pas l'occasion de constater. Il tendit sa main. « Tu peux ... tu peux m'aider à me relever, s'il te plaît ? » intrigué, le jeune homme attrapa la main mal assurée de Berlioz et le tira en manquant briser son frêle bras. « J'imagine que c'est ta canne. » Berlioz sentit des doigts froids lui effleurer la main pour poser la canne dans cette dernière. Il esquissa un sourire amical et le remercia. « T'es av ... mal-voyant ? » la gaffe arracha un rire amusé à Berlioz qui s'empressa de répondre; « T'en fais pas aveugle c'est pas une insulte ... je suis aveugle, oui. Mais évite de m'appeler l'aveugle, je préfère Berlioz. Et toi tu es ? » « Keagan. » Chip releva son arrière-train du sol gelé donna un grand coup de langue sur la main de Keagan qui eut un mouvement de recul. « T'en fais pas il est adorable. » il tapota la tête du chien et leva la tête pour donner l'impression à son interlocuteur qu'il le regardait. « Tu viens d'arriver à Wexford Keagan ? Je t'ai jamais vu par ici ... » Berlioz ne pouvait pas le voir mais le garçon semblait à la fosi embarassé et appeuré par allez savoir quoi; la neige ? le chien ? Sa présence ici ? Il souffla avant de répondre sur un ton très faible. « Je suis venu voir ma ... prochaine famille d'accueil. Enfin, je doute que ça t'importe on se connait même pas. » le jeune habitant de Wexford laissa retomber son sourire et pris un air désolé. « Oh je ... non ne t'inquiète pas les gens aiment bien se confier à moi. C'est peut-être mon état de cécité et puis je suis pas du genre à coller des étiquettes aux gens, tu veux qu'on aillent boire un chocolat chaud ? Je connais un café génial. »

« Et là, c'est définitif ? C'est genre ... un cadeau de noël non ? » la tasse chaude au creux des main, Berlioz n'avait pas encore bu une seule gorgée, trop occupé à affubler de question ce garçon trop mystérieux. Ce dernière lâcha un rire gêné avant d'essuyer sa bouche de la mousse de lait. « Ça aurait pu. Mais il faut trop de temps, je serai pas officiellement adopté avant la fin des vacances d'hiver. » Chip s'allongea sur le sol dans un soupir tristounet tandis que Berlioz buvait avidement la boisson chocolatée. Il ne savait pas s'imaginer changer de famille aussi souvent; il ne pouvait pas non plus comprendre à quel point ce garçon était chanceux d'avoir trouvé une famille dite "définitive". « Waow ... et tu vas emménager ici ? C'est génial ! Moi je dois t'avouer que j'ai une famille un peu spéciale ... enfin, je dis ça mais, c'est qu'elle me traite comme une poupée, j'en ai marre. » Keagan éclata de rire et attrapa une serviette qu'il lui tendit. « T'as de la mousse partout ! » laissant à son tour échapper un rire enfantin, Berlioz essuya ses lèvres et posa la serviette sur la table. « Tu ... t'as eu combien de famille en tout ? » il pinça les lèvres et reprit une gorgée du liquide chaud. Keagan fixa le sol, le regard vide. « Je sais plus. » il marqua une courte pause, relevant le regard vers Berlioz qui terminait sa tasse de chocolat. « T'as fini on y va ? Je vais devoir y aller, je devrais plus être ici. » il les avait toute comptées, en vérité. Trois par an. Depuis ses 6 ans. Il avait eu en tout plus d'une trentaine de famille d'accueil. Mais cette fois, on lui avait promis que c'était différent, que ce n'était plus un simple accueil mais une adoption. Berlioz déplia sa canne, posa un billet sur la table et remit ses gants. « De toute façon, on se reverra si tu comptes emménager ici. » Keagan avait acquiescé, oubliant que Berlioz ne pouvait pas s'en rendre compte puis avait posé une main ferme sur son épaule pour le saluer. Évidemment, Berlioz ne s'attendait pas à le revoir avant un petit bout de temps mais, chaque soir, à la même heure; l'heure de sa balade, il le recroisait, sortant d'un énième "entretien" et ils buvaient un chocolat. Un jour Keagan avant de partir, avait plongé ses mains dans ses poches et en avait sorti un pendentif. Évidemment, Berlioz s'était offusqué au départ; offrir un bijou à un aveugle c'est limite du foutage de gueule. Mais en ouvrant l'ellipse dorée, une douce mélodie se fit entendre. Touché par l'intention, Berlioz avait laissé une larme couler le long de sa joue. « C'est pour te remercier t'sais pour ton accueil, pour les chocolats ... tout ça quoi. » Berlioz hocha la tête et rangea le bijou dans sa poche. « Merci, merci beaucoup Keagan. T'aurais pas dû, c'était pas la peine. » « Ça me fait plaisir. » et ce jour-là, avant qu'il ne reparte pour une courte durée vers la capitale, Keagan avait juste posé ses lèvres sur celles de Berlioz. Bénignement, il venait de boulerverser toute une partie de la vie de l'adolescent non-voyant. Mais genre ... vraiment. C'est vrai, qu'est ce qui n'allait pas chez lui ? D'abord il est pas fichu de voir, maintenant, il se fait embrasser par un mec. Et comme pour confirmer qu'il était invivable, de retour à la maison, on lui flanqua la lettre que sa soeur avait laissée avant de se tirer.

" I shot for the sky, i'm stuck on the ground "

« Berlioz tu descends s'il te plaît ! » pour une fois qu'elle n'était pas venue le chercher par la main dans sa chambre. Il se leva avec une peine immense de son lit à baldaquin et en posant les pieds sur le sol, il se rendit compte que les mois sans sa teigne de soeur s'étaient écoulés si lentement; il se demandait encore comment le mois de mars avait bien pu arriver. Bientôt, Keagan se promènerait dans les rues, il serait son voisin. Mais il ne savait pas s'il saurait se comporter de la même manière, comme quand ils étaient juste bons potes. Malheureusement, il n'était pas au bout de ses surprises. Les petits coups secs qu'il donnait sur le sol interpellèrent l'invité; un invité bien spécial puisque Berlioz le connaissait. Arrivé sur la dernière marche, Chip fila se frotter contre le garçon planté au milieu du salon face aux parents de Berlioz, ravi de voir Chip s'accomoder de sa présence. Mais le garçon, qui n'était autre que Keagan, devint aussi silencieux qu'une tombe, retenant presque sa respiration. Rien de plus vexant pour Berlioz qui laissa retomber son sourire et lâcha sur un ton hésitant et gêné « Vous êtes bien silencieux. » avant de donner un coup sur sa cuisse gauche pour rappeler Chip. Le pas mal assuré, Berlioz s'avança et tendit la main « Berlioz. » la légère pression, le contact d'une bague froide contre ses doigts lui rappela étrangement Keagan; mais c'était impossible, hein ? « Keagan. » la première réaction de Berlioz fut de retirer sa main et de s'agiter nerveusement. Sous le regard de ses parents, ça passait moyennement. Alors il leva le menton et questionna ses parents. « Et il va travailler ici ? Vous m'avez fait descendre pour me présenter un de vos nouveaux domestiques ? » il aurait vraiment aimé que ça soit cela. La femme lâcha un rire moqueur et attrapa son fils par les épaules avant de lui intimer; « Keagan, est ton nouveau ... frère. » dans un bruit sourd, la canne tomba sur le sol. Son nouveau frère ? C'était donc là qu'il venait chaque après-midi, quand ses parents lui disaient qu'il devrait aller faire un tour ... voir si Rainbow était revenue de voyage. « Comment ça mon nouveau frère ? » « Nous avons adopté Keagan, Berlioz. » la voix de son père lui passa au dessus des oreilles à cause d'un espèce de bourdonnement, une sensation de malêtre l'obligea ensuite à se baisser et ramasser sa canne à tâtons. Il offrit un sourire penaud à Keagan et ses parents. « Vous auriez peut-être pu je sais pas moi ... me prévenir, avant ? » ses trois interlocuteurs échangèrent un regard, sa mère eut un léger soupir désolé. « Bienvenue dans la villa des Mawnfell, Keagan. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, je vais aller voir Rainbow. » « Attends Berlioz je ... » l'interpellé leva un sourcil (geste assez comique pour un aveugle, je vous l'accorde). « ... peux venir avec toi ? Tu me feras visiter le quartier, j'en ai pas eu l'occasion. » Sous le regard brillant de ses parents, Berlioz tourna les talons et tira sur le collier de Chip pour attacher la laisse. « J'ai dit que j'allais voir Rainbow, pas que j'allais me promener dans le quartier. » et il disparu derrière la grande porte d'entrée. Ça n'aurait pas été compliqué, ils auraient pu lui dire, le prévenir, lui présenter Keagan. Avant qu'un épisode aussi con n'arrive parce qu'embrasser son "frère" ça se fait pas tous les jours. Le plus dur à avaler, c'est que Keagan ne lui ait rien dit. Parce que pour Berlioz, il savait. Mais il pouvait les comprendre, ses parents, Keagan; comment annoncer à ce pauvre Berlioz qu'il était incompétent dans son rôle de fils ? C'est vrai, il était bien peu utile avec sa canne et son chien qu'il traînait de partout. Alors c'était fait, on l'avait remplacé, il servira dorénavant de décoration.